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  Celon l'express "Le compagnonnage, une arme antichômage"




Le compagnonnage, une arme antichômage

Par Huret Marie, publié le 22/04/1999


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www.lexpress.fr/informations/le-compagnonnage-une-arme-antichomage



Entre tradition et high-tech, les compagnons du Devoir forment une véritable élite ouvrière. Un parcours long, mais payant

«Le chômage? Chez les compagnons, on ne connaît pas», se réjouit David Rouverand, responsable du recrutement à l'Association ouvrière des compagnons du Devoir. Ce n'est pas de la vantardise, encore moins du triomphalisme. Juste un constat. «En maçonnerie, chaudronnerie et serrurerie, les entreprises ont même du mal à trouver des apprentis.» Diplôme en poche, un jeune formé chez les compagnons du Devoir déniche toujours du travail. Et, quand il s'installe à son compte, les entreprises se l'arrachent. D'où l'attrait qu'exerce aujourd'hui cette élite ouvrière sur les adolescents: ils sont près de 8 500 à apprendre une vingtaine de métiers auprès des compagnons - métallurgie, bâtiment, transport, ameublement, cuir et pâtisserie, notamment - pour 6 600 en 1987.

Les compagnons auraient pu continuer longtemps de coudre, de tapisser ou de bâtir à l'ancienne. Ils auraient pu s'assoupir, bien au chaud dans leurs traditions. Il n'en a rien été. Parce que ces superouvriers, héritiers des bâtisseurs de cathédrales et des artisans voyageurs de l'Ancien Régime, ont toujours aimé être à la pointe de la technique.

Signe des temps, ils ne se nomment plus Vivarais le Coeur fidèle, Bordelais le Résolu ou Artois le Décidé, mais Franck, Vincent ou Daniel. Ils affichent leurs créations sur Internet. On compte, aujourd'hui, 20 000 compagnons menuisiers, serruriers, chaudronniers, charpentiers ou encore plombiers, qui non seulement perpétuent la tradition de la belle ouvrage en France, mais sont aussi des champions des technologies de pointe. Ces aristocrates du travail manuel ont participé aux travaux de coffrage du tunnel sous la Manche, à la construction du TGV Atlantique et du métro de Caracas. Ils mettent en outre leurs talents de carrossiers au service de Renault, de Volvo France ou de Mercedes-Benz. Ce qui fait leur différence? Une formation qui vaut passeport pour l'avenir. «Il faut six ans pour former un compagnon. Ce niveau de qualification, qui peut l'égaler? C'est un créneau en or, entre les CAP sous-qualifiés et des diplômés d'IUT surqualifiés», s'enthousiasme David Rouverand. A coups de marteau, de scie et de sueur, ils ont façonné deux outils efficaces contre le chômage: l'apprentissage et le compagnonnage. En clair, un jeune peut préparer son BEP ou son CAP en deux ans, et quitter les compagnons diplôme en poche. Mais il peut aussi rester plus longtemps pour décrocher le titre envié de compagnon du Devoir. S'il a la foi, car la route est longue: six ans, parfois plus.

Apprentis ou aspirants compagnons, le régime est le même. «Tous nos jeunes travaillent pendant la journée en entreprise et suivent des cours le soir, donnés par des compagnons bénévoles en activité», explique Jean-Marc Laporte, de la Fédération compagnonnique des métiers du bâtiment. Anthony, 22 ans, n'est pas près d'oublier ses années de «lapin» - chez les compagnons, un apprenti est un «lapin», un patron, un «singe». «A 16 ans, j'ai quitté mes parents, mon école, ma maison et mes amis pour rejoindre les compagnons, raconte-t-il. C'était difficile, mais j'étais bien encadré.» Les «lapins» vivent à la «Cayenne», la maison des compagnons - il en existe plus d'une centaine en France et une dizaine à l'étranger. Ces ados sortis tout droit du collège sont nourris, logés et blanchis moyennant une participation de 2 500 F par mois. Les strictes règles de la vie en communauté sont affichées dans chaque maison. Tout nouvel arrivant doit les lire à haute voix et s'engager à «rechercher une attitude exemplaire, tant à l'intérieur de la maison qu'à l'extérieur». C'est ça, le compagnonnage: la formation à un métier et l'éducation de l'individu. La formule plaît. Une fois décroché CAP ou BEP, plus de la moitié des apprentis choisissent la voie royale du compagnonnage.

Le mythique tour de France commence alors. Pendant six ans, ces aspirants sautent d'un train à l'autre, voyagent de ville en ville, pour approfondir leur connaissance du métier. Le rythme est soutenu: une entreprise, un patron, une nouvelle ville tous les six mois. Son temps libre, le compagnon le consacre à son «chef-d'oeuvre» - une création qu'il présentera aux anciens, le moment venu. Il faut compter une centaine d'heures pour fabriquer, par exemple, un modèle réduit de la flèche de Notre-Dame de Paris, une table en Inox ou la maquette d'un escalier en chêne. Si l'oeuvre est jugée originale et aboutie, les compagnons remettent à l'aspirant une canne et une écharpe de velours. Le jeune homme doit encore voyager deux ans pour transmettre son savoir aux petits nouveaux. Sébastien, 25 ans, compagnon maçon, a promené sa boîte à outils de Marseille à Paris, en passant par Angers, Strasbourg, Tours, Lyon et Auxerre. «Le plus dur, c'est de changer d'entreprise et de repartir de zéro à chaque fois», avoue-t-il. Les patrons accueillent à bras ouverts ces jeunes bien formés, qu'ils soient apprentis ou aspirants. Plus de 8 000 entreprises s'arrachent le savoir-faire et l'esprit perfectionniste dont ils sont pétris. La tradition de solidarité est aussi une excellente garantie contre le chômage. Compagnon sellier, Alain vient de créer son entreprise à Epône (Yvelines), à 40 kilomètres de Paris - comme ses camarades, il préfère taire son patronyme, car jamais les compagnons n'inscrivent le label «tour de France» sur leurs cartes de visite. Question d'humilité. «Je n'oublie pas ceux qui entrent dans le métier, dit-il. J'ai pris avec moi deux apprentis qui logent chez les compagnons.» Comme lui, la plupart des anciens montent leur propre affaire et embauchent des jeunes.

L'amour du travail bien fait, la discipline et la solidarité - valeurs si chères aux compagnons - rencontrent une audience qui surprend les associations elles-mêmes. «Nous avions des difficultés à recruter des apprentis dans les années 70-80, déclare Jean-Marc Laporte. A présent, nous sommes si sollicités que nous devons ouvrir des antennes.» Phénomène nouveau, les compagnons doivent s'adapter à un public d'élè- ves de niveau bac, certains ayant trois années universitaires derrière eux. «Nous recevons 6 000 candidatures pour 3 000 places disponibles, note David Rouverand. Nous avons dû augmenter nos structures d'accueil.» Et renforcer la sélection - même si les compagnons n'aiment pas le mot - à l'aide de tests de logique, de maths, de français et d'entretiens. Les apprentis ont beau être triés sur le volet, ne devient pas compagnon qui veut. Sur 100 aspirants, 10 seulement obtiendront la canne et l'écharpe. «C'est un engagement, prévient Sylvain, aspirant tapissier de 22 ans. Même si je ne deviens pas compagnon, j'ai trouvé ma voie. C'est l'essentiel.» Et il devrait la suivre encore longtemps. Réservé aux garçons, l'enseignement proposé par les compagnons assure dans 98% des cas un débouché professionnel correspondant à la formation suivie. Qui dit mieux?



Par Huret Marie, publié le 22/04/1999

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